Moussa Fofana dit Herbin: l’histoire d’un vétérinaire devenu acteur de théâtre

Le théâtre dans sa définition étymologique est à la fois l’art de la représentation d’un drame ou d’une comédie, un genre littéraire et l’édifice dans lequel se déroulent les spectacles de théâtre. Au Mali, le théâtre a joué un rôle déterminant dans l’éveil des consciences.  A l’avant-veille de la chute du régime de Moussa Traoré, le théâtre malien à travers le groupe dramatique a été la première à donner l’alerte de façon publique sur les dérives du pouvoir. Les metteurs en scène Ousmane Sow et Moussa Maïga n’ont pas manqué d’inspirations pour monter des pièces sur l’actualité à l’époque axée sur la mauvaise gouvernance, la corruption et la délinquance financière, le népotisme, le clientélisme, l’incivisme etc.  C’est l’un des comédiens de cet art critique, Moussa Fofana dit Herbin, qui est notre héros de la semaine, pour l’animation de la rubrique “Que sont-ils devenus ?”. Que ce soit Fassely dans la pièce “Wari”, Tanti Koumbati dans “Bougougneri”, ou Lagaré dans “Féréké Yagamibougou”, et Ablo  dans la série “Dou, la famille” ; l’homme fut un vrai artiste, qui s’est adapté à tous les rôles. L’explication de son goût pour le théâtre est simple : il a vu en lui-même un missionnaire, un messager de la société sur la scène. Comment ses parents ont accueillis son virement dans le théâtre ? Herbin répond que sa famille l’a assisté. Moussa Fofana est marié et père de trois enfants. Véritable homme de paix, et malgré sa ceinture noire 4ème Dan en Taekwondo, il n’aime pas du tout les querelles, ainsi que le mensonge, et le vol.  Il a fait valoir ses droits à la retraite en décembre 2017. Depuis, il encadre, au Palais de la Culture Amadou Hampâté, les étudiants terminalistes de l’INA, une école dont il est l’un des fruits.

Le théâtre et les comédiens n’avaient pas bonne presse dans le temps dans notre société. Les différents comédiens que  nous avons rencontrés dans le cadre de cette rubrique, ont un dénominateur commun : justifier leur choix et renvoyer du revers de la main tout sentiment de regret. Seulement, ils s’offusquent du jugement négatif porté sur le théâtre et les comédiens.

Dès l’instant que l’Etat a créé une école pour former des comédiens, il va de soi que ses fruits soient là pour vendre l’image de la culture malienne. Faudrait-il que la même société comprenne que chacun suit son destin, et nul ne doit blâmer l’autre pour son choix dans les normes des choses.

Quel est le rôle du théâtre dans la vie de tous les jours ? Voilà la question que nous avons posée à Herbin. Qui répond que l’acteur de théâtre est un missionnaire qui dit plus haut ce que les autres n’osent pas chuchoter. C’est un ambassadeur avec des rôles précis.

Le groupe dramatique a-t-il reçu des menaces de la part du régime Moussa Traoré ? Notre héros répond : “En interprétant une pièce de théâtre qui traite de l’actualité, ou critique le pouvoir, les comédiens sont sans état d’âme. Durant ma carrière, je n’ai pas  souvenance de menace du pouvoir, peut être un cadrage de certains passages. Comme ce fut le cas après la première projection de la pièce “Féréké Yagamibougou”En effet, il a été instruit au metteur en scène, Ousmane Sow, de biffer des passages relatifs aux douze critères du député. Les parlementaires se sont vus visés. Cela a eu comme conséquence notre prise à partie, dans l’ex salle Banankokou à Lafiabougou, Bamako, par le public qui a compris que nous avons dénaturé la pièce. Ce jour, face aux agressions, Ousmane Sow, dans sa fuite, a dit “Bèbi Babolo” (sauve qui peut). Mieux, avant le début de notre interprétation, Kardjigué Laïco Traoré m’a dit que des militaires en civil ont infiltré la salle. Ce n’était pas facile ce jour. Autre précision, il nous a été rapporté qu’il arrivait que le président Moussa Traoré interpelle au besoin un ministre directement à chaque fois que son département est épinglé dans nos prestations”.

Moussa Fofana dit Herbin, a son admission au DEF, a été orienté à l’Ecole des Infirmiers Vétérinaires de Sotuba, devenu plus tard le Centre de Formation Pratique en Elevage (CFPE). Curieusement, à sa sortie, il n’a pas exercé cette profession. Il a préféré arranger ses seringues et blouses pour s’embarquer dans le bateau du théâtre, un art qui l’a toujours fasciné. A l’époque, en plus de ses expériences dans le quartier avec la troupe du  District, le seul pont pour y accéder demeurait l’Institut National de Arts (INA). Herbin y accède par voie de concours professionnel. Il constituera quatre ans  plus tard (en 1985), la crème du théâtre malien avec les Magma Gabriel Konaté, Kari Dembélé, Habib Dembélé dit Guimba, Moussa Maïga, Safiatou Sidibé, Maïmouna Hélène Diarra, et autres.

Cette génération, en plus de ses tournés en Yougoslavie, Nancy, Italie, a donné l’alerte,  à la fin des années 1980  sur certaines pratiques du régime militaro-civil en son temps, dirigé par le Général Moussa Traoré. Des thèmes sur la crise de salaires, le “consommer malien”, la dépravation des mœurs, l’insouciance et l’égocentrisme des hommes politiques ont contribué à l’éveil des consciences, et à comprendre que l’heure de la révolution contre ces dérives a sonné.

Herbin a également participé avec la troupe du District de Bamako à six biennales (1976, 1978, 1980, 1982,1984, 1986).

Quel a été l’impact du théâtre sur sa vie ? Moussa Fofana soutient que l’art lui a tout procuré : l’indépendance, la notoriété, la découverte du monde, les relations. Pour couper court à notre intention de poser une question complémentaire, il dit clairement que si c’était à refaire, il serait encore un comédien avec plus d’abnégation. Parce qu’il est plus facile de réussir dans un domaine qu’on a aimé que lorsqu’on le force.

Mieux, il revient sur une anecdote : “Le comportement des policiers à mon égard dans la circulation me pousse à être  en règle par rapport aux vignettes et consorts. Chaque fois que je tombe dans un embouteillage, il suffit que le policier m’identifie, immédiatement il dégage le chemin pour moi, et après les autres suivent. C’est réconfortant. Pour moi, seul le théâtre peut faire un tel honneur à l’homme que je suis. C’est le même accueil chaleureux quand je vais dans un hôpital”.

Lors de notre visite  chez Moussa Fofana, nous  avons remarqué  qu’il vient d’une grande famille, avec des frères, des enfants, des neveux, des petits fils, et comment il assoit son autorité sur ce beau monde avec son statut de comédien.

En rappelant l’adage selon lequel le comportement du pêcheur dépend de la manière dont le fleuve l’accueille, Herbin précise que sa couverture d’homme de l’art n’a aucune influence sur son autorité dans la famille. Il n’utilise pas de bâton, mais éduque en fonction de la sensibilité de tout un chacun.

L’autre face cachée de notre héros de la semaine, est qu’il a été un joueur de football. Nous l’avons connu à l’AS Réal au milieu des années 1980, et plus tard à l’AS Firhoun de la Commune III. Capitaine d’équipe et libéro, Herbin a remporté la coupe UNJM, la coupe de la Municipalité, la coupe INPS, joué une demi-finale de coupe du Mali, et décroché une troisième place du championnat national derrière le Djoliba AC et le Stade malien de Bamako. D’ailleurs, son surnom Herbin est consécutif à son style afro et ses qualités de défenseur athlétique et intransigeant de ce joueur Français, Robert Herbin ex sociétaire de l’AS Saint Etienne, de l’Olympique Lyonnais, du RC Strasbourg.

Dans la vie, Moussa Fofana aime le théâtre, le cinéma, le sport.

O. Roger/ Aujourd’hui-Mali

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