Le président de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture du Mali (APCAM), Bakary Togola, est, depuis vendredi dernier, incarcéré à la Maison centrale d’arrêt de Bamako. Inculpé de détournement de deniers publics au moyen de faux en écriture, faux usage de faux… par imitation des paraphes du PDG de la CMDT et du Directeur de l’Approvisionnement, il aurait ainsi détourné 9 milliards au préjudice de la Confédération des Sociétés Coopératives des Producteurs de Coton du Mali en abrégé C-SCPC. Au-delà de la somme astronomique en cause, l’affaire fait grand bruit, divise et se politise au regard de la personnalité très controversée du désormais célèbre détenu. Paysan illettré ou agro-industriel ? Broussard ou confident des chefs ? Syndicaliste ou homme politique ? Coupable idéal pour donner un gras coup dans la fourmilière ou simple agneau sacrificiel d’une croisade que d’aucuns qualifient de sélective dès le début ?
Le procureur du pôle économique de Bamako, Mamoudou Kassogué, est catégorique : il n’y a ni acharnement ni chasse aux sorcières dans cette procédure qui vaut à Bakary Togola d’être mis à l’ombre. Il ne s’agit a priori donc pas de politique, mais de droit et de procédure criminelle qui fait appelle à des faits et à des preuves matérielles, directs et indirects. Plaidant le sacro-saint principe de la présomption d’innocence, le Procureur Kassogué rassure que nul n’étant au-dessus de la loi, des poursuites seront engagées contre toutes les personnes que les enquêtes feront découvrir comme étant présumées coauteurs ou complices des infractions. Déjà, il assure que 6 personnes suspectées avec Bakary TOGOLA de commission d’infraction sont également gardées à la Maison centrale d’arrêt de Bamako. Avant d’ajouter que personne (aucun coauteur et complice de Bakari Togola) n’échappera aux mailles du filet de la justice.
Dès lors, se pose la question de savoir comment et pourquoi certains voudraient voir en cette incarcération d’un homme plus que proche du président IBK, dit-on, une entourloupe politicienne du régime pour endormir les Maliens et échapper aux courroux des partenaires.
Les limites d’un engagement
S’il faut donner acte au procureur en charge du pôle économique de Bamako de sa détermination à poursuivre ce dossier comme d’autres éventuellement dans le cadre de la lutte contre la corruption dont la justice est le bras séculier, il faut cependant nuancer son objectivité, en tant que parquet. Ministère public, si le procureur Kassougué a l’opportunité des poursuites, il est aussi vrai il est aussi actionné et agit sur ordre. Lui-même ne fait grand mystère de sa marge de manœuvre en brandissant comme un trophée le feu vert de sa hiérarchie, de ses patrons : « nous sommes parfaitement en phase avec la Chancellerie où le ministre de la Justice qui nous a assurés aussi de l’engagement des plus hautes autorités du pays à nous accompagner sur ce chantier ».
Ce n’est pas l’accord parfait entre le Procureur et son ministre, Malick Coulibaly avec la bénédiction des plus hautes autorités (qui s’entendent le Premier ministre et président de la République) de poursuivre et de mettre Bakari Togola qui politise ce dossier. Le ministère public est sous la responsabilité du Garde des sceaux, ministre de la Justice, lui-même devant son fauteuil au Premier ministre et au président de la République. Qu’ils aient eu ou non leur mot à dire dans cette affaire, le système fonctionne comme ça.
Ce qui politise ce dossier, ce n’est pas l’engagement politique frivole de Bakari Togola, militant et responsables de tous les partis au pouvoir. À sa décharge comme beaucoup de hauts cadres prostitués dans les hautes sphères de l’État.
Le dossier n’est pas politique parce que Bakari Togola, après avoir renié le PDES d’ATT, les FARE de Modibo Sidibé pour parachuter en plein midi au RPM d’IBK, Parti présidentiel dans lequel il est devenu un baron bloqué à la porte de la direction, mais puissant membre de section de Bougouni et de la Fédération régionale RPM de Sikasso. Comme militant et responsable, Bakari Togola brille dans les structures par son absentéisme. C’est un militant qui s’affiche devant la caméra et aux côtés des autorités, pas un vrai tisserand, dit-on.
Le lâchage !
Ce qui politise cette affaire Bakary Togola, c’est justement le silence de « son parti », le RPM et de tous les autres partis politiques. Un silence bavard qui pèse, plus que les infractions dont il fait l’objecta de poursuite de la part du procureur. Le lourd silence des politiques qui pèse comme une chape plomb sur la tête du détenu sur fond de démarcation et de lâchage. Comme beaucoup, Bakary Togola apprend aujourd’hui très amèrement à ses dépens que le dévouement politique est récompensé par le lâchage, l’oubli, la trahison. Dans ce milieu où il s’est embourbé, on dit souvent que « la trahison est une question de dates ».
Ce silence politique qui politise l’affaire n’est ressenti seulement comme une trahison à l’égard que de Bakary Togola, mais aussi à l’égard des aspirations profondes et des attentes légitimes de nos populations à la bonne gouvernance, au progrès et à la prospérité. En optant pour la loi de l’omerta, comme s’ils s’étaient concertés dans une entente mafieuse, les politiques maliens, si prompts à dénoncer les scandales, prouvent-ils par là qu’ils ont peur à s’engager résolument dans le combat contre la corruption. Ou simplement craignent-ils que la croisade ne les emporte eux-mêmes ? En tout cas, leur silence est équivoque et lourd d’interrogation sinon de déception pour nombre de Maliens.
Les interrogations
Ce qui politise cette affaire, pour les plus sceptiques de nos compatriotes, c’est qu’il y a eu tellement de milliards détournés au paravent, tellement de dénonciations, d’audit sans jamais de poursuite. En tout cas, d’emprisonnement jusqu’ici. L’affaire aurait échappé au vernis politique si auparavant, les dossiers au grand jour avaient fait l’objet de poursuite, d’emprisonnement. Le vérificateur général a dénoncé, les juges ont dénoncé, même le président lui-même a dénoncé. Mais rien n’y fit. Opportunité des poursuites où es-tu ?
Ce qui politise cette affaire Bakary Togola, ce sont toutes ces affaires sur la place publique et sur lesquelles l’opposition et la presse font leurs choux gras et qui n’ont fait jusqu’ici fait l’objet d’aucune poursuite, en tout cas d’aucun emprisonnement. Parmi ces affaires qui alimentent la chronique scandaleuse quotidienne, on peut citer celles-ci :
1. L’achat de l’avion présidentiel et des équipements militaires (2014), à ce jour non élucidée ;
2. Le marché des engrais frelatés de 2015 ;
3. La scabreuse affaire de marché gré à gré de l’office du Niger ;
4. Le marché d’acquisition des aéronefs de l’armée (avions de transport et hélicos) ;
5. Le Marché de la rénovation et de l’équipement de Gabriel Touré ;
6. Les 3 milliards volatilisés au Ministère des Finances ;
7. L’affaire projet Soundjata où le promoteur voulait investir 50 milliards cfa dans l’énergie solaire ;
8. L’octroi des 100 millions devenu 50 millions à un religieux pour organiser une marche contre le pouvoir ;
9. Les 500 millions alloués au Chef de file de l’Opposition ;
10. Le dossier de 741 milliards détournés qui alimente la colère des partenaires techniques et financiers ;
11. Le dossier du Rapport 2018 du bureau du vérificateur général qui fait était de 10 vérifications effectuées, dont 7 dossiers transmis à la justice :
a-AMBASSADE DU MALI A OUAGADOUGOU (BURKINA FASO): Le montant total des irrégularités financières constatées s’élève à 1 836 065 838 FCFA.
b-AMBASSADE DU MALI A ABIDJAN (COTE-D’IVOIRE) ; dont le montant total des irrégularités financières s’élève à 166 287 446 FCFA.
c-AMBASSADE DU MALI A MADRID (ESPAGNE): le montant des irrégularités financières s’élève à 51 047 885 FCFA.
d-CONSULAT GENERAL DU MALI A DOUALA : le montant total des irrégularités financières s’élève à 133 687 909 FCFA.
e-AMBASSADE DU MALI A ROME (ITALIE) : le montant total des irrégularités financières constatées est de 284 151 956
FCFA.
f- Direction nationale de la santé : 77,4 millions FCFA d’achats de carburant non justifiés.
La direction nationale de la santé (DNS) et de l’hygiène publique a fait l’objet d’une vérification financière à l’issue de laquelle le bureau du vérificateur général a relevé 77,4 millions FCFA d’achats de carburant, sans justificatifs, aucun.
g- La Pharmacie Populaire du Mali n’a pas pu justifier la distribution de 64000 produits pharmaceutiques d’une valeur de 24,9 millions de FCFA.
h-Aéroports du Mali : Plus de 2 milliards CFA volatilisés
– 550 dollars US versés, par jour, à MAE (Mali Air Express), dont la convention est résiliée depuis 2013.
– 72,4 millions CFA payés à la société de gardiennage AEROSEC, sans contrat.
– 711 millions CFA d’écarts de passation de service entre les PDG.
– 891,6 millions CFA de créances non recouvrées.
– 147,6 millions CFA de dépenses fractionnées.
– 60,8 millions CFA, indûment, payés au cabinet de conseil fiscal Siaka Traoré.
A ces affaires, on peut ajouter :
a- L’audit des 1230 milliards destinés à la LOPM.
b. Les 190 milliards de recettes douanières et fiscales volatilisés de 2018 du trésor public.
Techniquement et juridiquement, on peut toujours dire que l’affaire n’est pas politique. Mais sans une volonté collective (gouvernement et partis politiques) d’engager une lutte globale contre la corruption, à travers des actions non discriminatoires, on peut difficilement convaincre le Malien lambda qu’il ne s’agit pas d’une croisade sélective et que l’affaire Bakary Togola n’est pas politique.
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