Mali : comment Bakary Togola, roi du coton incarcéré, est devenu incontournable
Bakary Togola est en détention préventive depuis le 13 septembre dans le cadre d’une enquête portant sur le détournement de près de 10 milliards de francs CFA. Cet homme d’origine paysanne, devenu incontournable dans le secteur du coton malien, est accusé d’être au centre d’un système de corruption dont les ramifications pourraient s’étendre au monde politique.
Depuis que Bakary Togola a été placé sous mandat de dépôt à la maison centrale d’arrêt de Bamako, le 13 septembre dernier, pas un jour ne passe sans que l’affaire dite des « ristournes de la Confédération des sociétés coopératives des producteurs de coton » ne fasse les choux gras de la presse malienne. Et pour cause. Celui qui, à 59 ans, est à la fois président de l’Assemblée permanente des Chambres d’agriculture du Mali (APCAM) et de la Confédération des sociétés coopératives des producteurs de coton (C-SCPC), est accusé d’avoir détourné un peu plus de 9,4 milliards de francs CFA.
Au-delà de l’importance de la somme, c’est surtout le profil de Bakary Togola qui focalise l’attention. Leader paysan, il est aussi un personnage incontournable dans le très stratégique secteur cotonnier. Il a également su tisser de puissants réseaux dans la sphère politique, jusqu’au cœur du pouvoir, et ce, depuis l’époque de l’ancien président Amadou Toumani Touré.
Lors de la campagne pour la présidentielle de 2018, Bakary Togola avait clairement affiché son soutien à Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Et en juillet dernier, alors que, déjà, des rumeurs insistantes affirmaient qu’il était dans le viseur de la justice, sa rencontre avec IBK au palais de Koulouba n’avait pas manqué d’être relevée par les commentateurs politiques.
Dénonciation anonyme
Ces amitiés – réelles ou supposées – n’ont cependant pas empêché Mamadou Kassogué, le procureur du pôle économique et financier de Bamako, d’ordonner l’ouverture d’une enquête pour des faits de « corruption » et de « détournements de deniers publics ». Le magistrat, qui a expliqué agir à la suite d’une « dénonciation anonyme », affirme que le lanceur d’alerte a fourni aux enquêteurs une série de documents étayant ces accusations, qui ont conduit à la mise en examen de Bakary Togola et de six autres co-accusés.
Au total, ce sont 9,462 milliards de francs CFA qui auraient été détournés entre 2013 et 2019. Une somme ponctionnée sur un budget de 13,431 milliards mis à la disposition de la Confédération des sociétés coopératives des producteurs de coton du Mali (C-SCPC) par la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT). « Cet argent était destiné à la formation et la mise à niveau des membres de 7 700 coopératives de cotonculteurs sur la période concernée », précise Baba Berthé, directeur de la CMDT.
Ses partisans pointent les potentielles conséquences économiques de son incarcération
L’arrestation et la mise sous mandat de dépôt de Bakary Togola a provoqué d’importants remous dans le secteur du coton. De conférences de presse en déclaration publique, plusieurs organisations ont assuré le leader paysan de leur soutien. Samedi 28 septembre, le Groupement des syndicats cotonniers et vivriers du Mali – membre de la Confédération que préside Togola – a ainsi lancé un « ultimatum » aux autorités, réclamant la remise en liberté du président du C-SCPC, menaçant « d’entamer toutes actions nécessaires à la défense des producteurs agricoles de notre pays ».
Si l’initiative a fait long feu, et a été désavouée par plusieurs autres composantes de la confédération, une « Coordination nationale des amis de Bakary Togola » a vu le jour fin septembre. La ligne de défense est double : d’une part, ses partisans assurent que les accusations ne reposent sur rien ; d’autre part, ils pointent les potentielles conséquences économiques de son incarcération. « Est-il convenable de priver de ses libertés un paysan qui a près de 3 000 hectares à faire entretenir, par plus de 10 000 travailleurs, au seul motif qu’il a été dénoncé ? », a notamment regretté Moussa Doumbia, l’un des initiateurs de cette coordination.
Incontournable sur les passations de marchés
Dans le même temps, dans le secteur cotonnier, des langues se délient. « Bakary Togola, on le surnomme Monsieur 1% », lâche à Jeune Afrique un responsable d’une société internationale spécialisée dans la fourniture d’engrais. Ce cadre, qui a requis l’anonymat, affirme même que son entreprise a décidé de se retirer du marché malien en raison de la corruption qui, selon lui, y sévirait.
Dans les faits, c’est aussi ce GIE – et notamment Bakary Togola en personne – qui négocie en direct avec les sociétés
Un secteur cotonnier au sein duquel Bakary Togola s’est forgé une place centrale en créant, en 2007, un Groupement d’intérêt économique (GIE) qui va bouleverser les méthodes de passation des marchés des intrants au Mali.
Ce GIE se voit en effet confier l’approvisionnement en intrants pour le compte de la #CMDT et de l’Office de la Haute Vallée du Niger (OHVN). Le GIE de Togola est co-signataire de l’ensemble de ce type de contrats. Dans les faits, c’est aussi ce GIE – et notamment Bakary Togola en personne – qui négocie en direct avec les sociétés.
Elles sont quatre, aujourd’hui, à se partager le marché des engrais dans le pays : Toguna Agro-Industrie – principal acteur, avec 60% des parts de marché -, Doucouré Partenaire Agro-industries (DPA), #Somadeco et Gnumani S.A..
Source: Jeune Afrique