Affaire de Niono: Elie Dembélé, le commissaire Adjoint parle et révèle de graves «dysfonctionnements» au niveau de la hiérarchie

Dans l’affaire du commissaire Issiaka Tounkara tué par balle au cours d’une manifestation à Niono, près de 70 personnes déjà interpellées. Elie Dembélé, l’adjoint au défunt commissaire de Niono a accordé une interview exclusive, le samedi 27 septembre, sous les décombres du commissariat de Niono, au journal Aujourd’hui Mali

Extrait :

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Il y a des éléments, un au niveau des services de carte d’identité, notamment l’adjudant Sékou Kéïta, un autre au niveau du RG, Mamadou Z. Sanogo, et le chef peloton, Mahamadou Djatta, qui n’avaient de respect pour personne au commissariat de Niono en dehors du défunt commissaire. Cette attitude avait entretenu une atmosphère austère au sein de ce commissariat entre les policiers eux-mêmes créant des méfiances entre policiers.

Vous savez que ce n’était pas intéressant de travailler dans ces conditions. Pour preuve, lorsque Tounkara était toujours à Bamako, ces gens-là que j’ai cités ont convoqué une réunion quelque part en ville avec certains policiers au prétexte de soutenir Tounkara. C’est en faisant mon sport dans la ville que j’ai été surpris de voir ce rassemblement de policiers dans la ville. C’est ainsi que j’ai appelé mon directeur régional à Ségou pour lui rendre compte. Aussitôt, il m’a dit de prendre des mesures disciplinaires contre eux, mais je me suis passé de ces sanctions. Ainsi, après cette rencontre avec les manifestants, nous avons fait deux semaines, tout se passait normalement, mais le 18 septembre, aux environs de 21 h moins, lorsque j’ai appelé le commissaire pour le compte rendu quotidien des affaires traitées dans la journée, il m’a dit : “Adjoint, très bien, mais présentement je suis moi-même à Niono”. J’ai commencé à prendre peur.

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Il ne vous avait pas informé qu’il allait prendre le départ pour Niono ? Par ailleurs, pourquoi avez-vous pris peur ?

Il ne m’avait pas informé. Pas même la Direction générale de la police qui m’avait fait venir ici pour gérer la situation . J’ai pris peur parce que je savais ce qui se disait en ville. Vous savez, après l’incident, il y a eu un moment des rumeurs que le commissaire allait revenir incessamment de Bamako, le maire me l’a demandé lors d’une réunion. J’ai dit à l’édile que je ne suis pas au courant, mais que c’est très difficile que le commissaire prenne le départ pour Niono sans que je ne sois informé soit par lui-même soit par la Direction générale. Et j’ai dit au maire que dès que j’aurais des informations, je vais partager avec lui pour qu’on soit au même niveau d’information. Mais cela avait trouvé que les manifestants avaient dit au maire également que si jamais le commissaire Tounkara remettait les pieds ici à Niono, il aura des problèmes et qu’il n’en sortira pas sain et sauf. Le maire m’a rapporté cela.

Après cette rencontre avec lui, j’ai tout rapporté au téléphone et par écrit à la direction régionale. Je ne peux pas faire plus que ça. Voilà les raisons pour lesquelles j’avais peur. Et la même nuit où le commissaire Tounkara est rentré aux environs de 22 h 55, j’ai été informé par le chef du Renseignement général de la police de Niono, que Sékou Coulibaly dit Formidable a mis sur sa page Facebook que le commissaire est rentré à Niono que donc la lutte continue.

Aussitôt après, j’ai appelé le maire pour qu’il invite les leaders des manifestants à l’apaisement. De mon côté, comme j’avais les contacts de certains meneurs, j’ai essayé de les joindre aussi. Parmi ceux que j’ai appelés, il y a Adama Coulibaly (que je n’ai pas eu) et Nouhoum Cissé. Je leur ai dit de parler avec leur camarade Formidable de rester calme. Que tout compte fait, le maire va les revenir. C’est le matin de l’incident que j’ai su que les choses étaient vraiment sérieuses parce que je recevais de partout des appels des jeunes. Mais toujours, je leur disais de rester calme, que le maire allait les revenir. Parce que je ne peux pas dire plus, car n’ayant aucune information, moi aussi je ne pouvais tenir des propos qui pouvaient se retourner contre moi ou mes collègues car le commissaire est venu sans que je ne sois informé, donc je ne peux pas dire du n’importe quoi.

Toujours dans la matinée du jeudi 19 septembre, un animateur de la Radio Kayira du nom de Mamy, dans une émission radiophonique, a dit qu’ils ont appris que le commissaire est venu à Niono, mais qu’il va marcher sur leurs cadavres pour diriger ce commissariat. J’ai aussitôt cherché l’audio de cette émission que j’ai envoyé à un de nos grands chefs, le même matin, à Bamako. Mais je ne vous dirai pas le nom. C’est fait vers 7 h. Cela a trouvé que le commissaire n’était pas encore dans son bureau. Et au chef, j’ai dit que cette affaire ne concerne pas le commissaire Tounkara seul, mais que si jamais ces gens-là attaquent le commissariat, c’est les vies de tous les policiers de Niono qui seront en danger. Je me suis limité à ça.

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Mais à son retour de Niono, qu’est-ce que le commissaire vous a dit ?

Evidemment, nous avons eu un briefing avec lui entre 9 h et 10 h dans son bureau, toujours dans la matinée du jeudi, il m’a dit qu’il a été appelé par le directeur régional de Ségou pour prendre notre dotation et que le directeur lui a dit en ces termes : “Fonce à Niono”. Bon comme c’était un briefing entre cadres, un des nôtres du nom d’Adama Diallo a demandé d’élargir ce briefing à tout le reste du groupe parce que tout le monde voulait savoir le contenu du message. Ce qu’il nous a dit, entre cadres, c’est la même chose qu’il a dit aux autres.

Aussitôt nous sommes convenus avec le commissaire et quelques cadres d’aller voir le maire pour lui expliquer la situation. Sur place, le commissaire Tounkara a appelé le maire. Cela a trouvé que celui-ci était en réunion avec les manifestants. Après cette réunion, le maire a rappelé le commissaire, l’invitant à la préfecture. Je suis parti avec lui dans un pick-up. Arrivés sur place, nous avons appris que les manifestants ont envahi la ville et commençaient à se masser par petits groupes devant le commissariat. Sachant que la cible principale était le commissaire Tounkara, le sous-préfet de Nampala a proposé au commissaire de rester à l’abri à la préfecture. Chose que nous avons tous approuvée. C’est comme ça je suis retourné au commissariat et j’ai trouvé que les manifestants avaient envahi les rues et commençaient à se regrouper autour du commissariat. Pour la marche du 19 septembre, il faut préciser que les organisateurs ont fait appel à presque tous les villages environnants de Niono. Pour preuve, le jeune qui est décédé côté manifestant n’est pas de Niono ville. Il est de Molodo, qui se trouve à 8 km de Niono.

Entre-temps, sur le chemin du retour, le directeur régional m’appelait pour que je parle aux manifestants car il m’avait aussi encouragé à rester en contact avec ces gens-là, de ne pas couper le pont avec eux. C’est ce contact que certains ont interprété comme une forme de complicité. Moi je ne me reproche rien dans ma démarche avec eux et celui qui doute de mes propos et de tous les actes que j’ai posés dans cette affaire peut faire une réquisition sur mon numéro de téléphone. Je ne suis rentré dans aucun acte subversif. Quand ces gens voulaient marcher le 8 et le 14 septembre, est-ce que j’étais à Niono ? C’est grâce à moi que ces marches ont été annulées.

Ce que j’ai fait ici à mon retour, n’importe quel policier à ma place allait agir de la sorte. A savoir, rencontrer les acteurs de ces contestations pour faire baisser la tension. Même si tu es sorti de La Sorbonne, si tu n’avais pas agi de la sorte, tu ne pouvais pas avoir un terrain d’entente avec ces gens. Après avoir obtenu le report de la marche, j’ai demandé de former une délégation pour qu’on aille voir le jeune blessé, suite à l’interpellation de notre camarade, et lui présenter nos excuses parce que nous avons appris que les manifestants ont porté plainte contre notre camarade policier qui a fait ce contrôle de vignette. Et c’était vrai.

Nous avons appris que votre camarade a subi même une sanction disciplinaire, est-ce que vous confirmez cette information ?

Je confirme. Mais, pour moi, le plus important c’était de restaurer la confiance entre la police et la population. C’est pourquoi, suite à ma proposition, j’ai informé le maire de Niono et mon directeur régional qu’on voulait rendre visite au jeune blessé. J’ai aussi informé le commissaire Tounkara qui était à Bamako.

Lui aussi a apprécié l’initiative et a même envoyé 100 000 Fcfa comme contribution afin qu’on donne ce montant au jeune blessé. C’est vrai que je n’étais pas dans la délégation pour rendre visite au blessé, mais j’ai désigné quelqu’un qui est parti me représenter sur place.

Les parents du jeune blessé ont beaucoup apprécié ce geste. C’est en ce moment que j’ai invité à mon tour le maire afin qu’il parle aux manifestants pour retirer leur plainte dans l’optique que notre camarade puisse revenir faire son travail. Et j’avais acquis l’accord de principe des manifestants par rapport au retrait de la plainte. Et la dernière étape de ma démarche de normalisation était d’organiser une grande fête entre les policiers et ces gens-là au cours de laquelle on allait leur demander de fumer le calumet de la paix avec le commissaire Tounkara. C’est ma première fois de faire cette révélation, mais quand j’entends dire ça et là que je suis complice de ces gens, ça me blesse au plus profond de moi-même. Mais je suis un chrétien de foi et je crois en Dieu. Je me limite à ça.

Avant d’aller loin, lorsque vous avez laissé le commissaire à la Préfecture, comment et pourquoi il s’est retrouvé ensuite au commissariat ?

Il est revenu de lui-même de la Préfecture du Commissariat, mais je ne sais pas pourquoi et comment. Vous savez, lorsque je l’ai vu dans l’enceinte du commissariat, j’étais surpris. Je lui ai dit est-ce qu’on ne t’avait pas conseillé de rester à la Préfecture ? Parce que s’il n’était pas au commissariat on pouvait faire visiter les locaux du service avec les manifestants en disant qu’il n’était pas sur place et ils allaient retourner. Mais tant qu’il était sur place, ils allaient continuer à nous attaquer. Malheureusement, c’est ce qui s’est passé. Parce que lorsque nous avons été envahis par les manifestants, qui ont commencé à nous attaquer de tous les côtés, mon directeur régional m’a appelé pour que j’informe les manifestants que leur doléance est acceptée. Mais cette décision était le médecin après la mort (2 fois) car on n’avait plus d’interlocuteur. Vous savez, c’est comme ça que le monsieur a été tué gratuitement en laissant derrière lui sa femme et ses enfants. Parce que lorsque les manifestants se sont postés tout autour du commissariat, personne n’est rentré dans son bureau.

Ils se sont mis à nous jeter des cailloux de part et d’autre. Nous avons fait usage de gaz lacrymogènes jusqu’à épuisement de tout le stock dont on disposait. On n’avait plus rien pour se défendre.

Le commissaire a appelé en vain la Garde nationale qui est à 400 m du commissariat, les FAMa qui sont en renfort à Niono qui n’étaient aussi loin. Personne n’est venu à notre secours pour nous sortir des mains de ces gens-là. Comme seule réponse, le sous-lieutenant des FAMa nous dit qu’il n’a pas reçu d’instruction pour intervenir et la gendarmerie, qui se trouve à environ moins de 100 mètres du commissariat (NDLR : dans la même rue), a envoyé trois hommes.

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L’intégrale de l’interview ici

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